9. Question de souveraineté : plutôt Hitler que le Front populaire
Lorsque nous (Michel J. Cuny - Françoise Petitdemange) sommes venus offrir "Fallait-il laisser mourir Jean Moulin?" à Annie, la fille de Pierre Cot, nous avons eu la surprise de découvrir son étonnement et même son incrédulité devant l'appréciation extrêmement positive que nous avons de l'ensemble de la trajectoire politique de son père, et de pouvoir mesurer son émotion de prendre connaissance du lien particulièrement étroit que nous établissons entre Jean Moulin et le même Pierre Cot à propos, en particulier, de l'élaboration du Conseil National de la Résistance.
En cette année-là (1995, vraisemblablement), Pierre Cot passait pour avoir sans doute été un agent... du KGB, et Jean Moulin lui-même s'apprêtait à monter dans la charrette des traîtres à la patrie.
Très inquiète, elle aussi, Lucie Aubrac nous avait dit à peu près ceci quelques semaines plus tôt : "Encore heureux, qu'ils n'aient pas déjà l'idée de sortir Jean Moulin du Panthéon!"
Dans un geste troublant de naïveté et de précipitation, Annie Cot nous a alors remis ce qui lui paraissait être une sorte de protection décisive pour la mémoire de son père. Quatre universitaires venaient de rassembler, dans un très modeste fascicule, une défense et illustration des faits et gestes politiques de celui-ci, faits et gestes (de détail) qui semblaient démontrer que, que et que. Il en résultait que l'ensemble d'une extraordinaire carrière d'homme d'Etat, et tout particulièrement la gloire inoubliable que devrait valoir à l'ancien ministre de l'Air du Front populaire, Pierre Cot, d'avoir été l'auteur intellectuel véritable de la trajectoire politique de Jean Moulin disparaissaient derrière une prétendue défense dont l'essentiel était qu'à force de défendre, elle ne faisait qu'enfoncer celui qu'à chaque ligne elle démolissait plus ou moins inconsciemment... Il ne restait plus qu'à attendre que les archives de Moscou parlent.
Peu après, une lamentable biographie de Pierre Cot devait, de la même façon, oublier complètement Jean Moulin et annoncer que les archives de Moscou, et puis les traductions des documents codés, mais traductions qui demanderaient sans doute quelques années pour... parce que la complexité... enfin, on verrait bien.
En 2012, c'est-à-dire près de vingt ans plus tard, tout ceci est devenu parfaitement inutile, puisqu'il n'y aurait apparemment plus rien à défendre du passé glorieux de la France résistante : Jean Moulin est tout de même encore au Panthéon, mais notre pays lui-même est désormais intégré jusqu'à la moëlle dans l'Europe allemande puisque, ainsi que le signalait l'économiste Christian Saint-Etienne le 23 janvier de cette même année devant la caméra de Xerfi Canal : "De facto, la France vit un effondrement, un mai 40 économique."
Que peut donc bien signifier tout cela?